Il faut revenir au 14 septembre dernier. Il est 6h ce matin-là, lorsque la voix du Président Luis Abinader est diffusée sur les radios dominicaines. Il annonce lui-même la fermeture de toutes les frontières terrestres, maritimes et aérienne entre Haïti et la République Dominicaine. Ce communiqué sera ensuite repris par la presse nationale.
Par la voix de son Président, le gouvernement dominicain dénonce la construction d’un canal d’irrigation alimenté par la rivière Massacre, située à la frontière entre les deux pays de l’île Hispaniola.
Selon Saint Domingue, ce projet de canal viole le traité de paix et d’amitié perpétuelles de 1929 et l’accord frontalier de 1935.
« Ce projet de canal est une construction totalement inappropriée, sans aucun type d’ingénierie. C’est une provocation que le gouvernement dominicain n’accepte pas » a rappelé en substance Luis Abinader.
Côté haïtien, on évoque un meilleur partage des eaux de la rivière frontalière Massacre, entre les deux pays, afin d’aider à l’irrigation des champs et des cultures. Les travaux pour irriguer les terres agricoles haïtiennes ont débuté en 2018. Dès les premiers coups de pioche, le Président dominicain a fait valoir son mécontentement et son opposition en prenant des mesures de rétorsion immédiates envers son voisin. Dans une déclaration officielle, il avait indiqué que son pays serait désormais interdit à tous ressortissant haïtien.
Mais cette polémique sur le partage des eaux frontalières est peut-être, et même sans doute, un nouveau prétexte utilisé par le Président dominicain pour appliquer son programme politique, en partie basé sur une rhétorique anti-haïtienne.
Outre le fait que des représentants du corps spécialisé de sécurité frontalière pénètrent sans autorisation sur le territoire haïtien pour intimider et menacer les ouvriers qui construisent le canal, en vue de faire cesser les travaux, la République Dominicaine construit, depuis le mois de février 2022, un mur de 160 km le long de sa frontière avec Haïti.
Le chantier de ce « mur-frontière » provoque la destruction, à coups de bulldozer, des maisons de fortune dans lesquelles sont logés les haïtiens. C’est ainsi que le bidonville de la Mara, dans la province frontalière de Dajabon, a été entièrement détruit, laissant des centaines de personnes et des familles en déshérence.
Ce mur est en fait le reflet du programme politique sur lequel Luis Abinader a été élu en 2020, puis réélu cette année avec plus de 57 % des suffrages.
Dès son premier mandat, il dénonce une immigration haïtienne massive, souvent clandestine. On estime à environ 500 000 les haïtiens venus en République Dominicaine chercher des conditions de vie meilleures dans ce pays plus prospère.
En 2022, Luis Abinader emploie tous les moyens, y compris la violence, pour expulser plus de 170 000 haïtiens du territoire dominicain. Récemment, il a déclaré vouloir expulser 10 000 haïtiens par semaine.
Pour mener à bien cette politique qualifiée de xénophobe par ses voisins caribéens, le président dominicain, depuis sa réélection cette année, dispose d’une majorité dans les deux chambres du parlement. Son parti, le Parti Révolutionnaire Moderne (RPM), contrôle aussi la majorité des municipalités du pays.
Il fait des « relations » avec Haïti son cheval de bataille politique. Il promet de renforcer la lutte contre l’immigration haïtienne, quels que soient les moyens employés.
Il est vrai qu’avec une croissance annuelle de plus de 5%, la République Dominicaine fait figure d’eldorado pour des haïtiens dont le pays est l’un des plus pauvres de la planète.
Malgré des relations très tendues entre les deux pays et une politique dominicaine ouvertement anti-haïtienne, les autorités de Port au Prince avaient été invitées à la prestation de serment du président Abinader lors de sa réélection au mois de mai dernier.
Mais le gouvernement haïtien de transition avait décliné l’invitation. La Ministre haïtienne des affaires étrangères, Dominique Dupuy, avait répondu à son homologue dominicain Roberto Alvarez : « L’ouverture des frontières dominicaines doit concerner l’ensemble des citoyens, sans exception. Les autorités haïtiennes ne peuvent bénéficier seules d’un privilège auquel le peuple haïtien n’a pas (plus) droit ».
A lire, voir, écouter :
« Au moins 70 personnes tuées par un gang, dans une fusillade » France 24 – 04 / 10 / 2024
« Un quartier de Port au Prince dans la tourmente. Mutisme des autorités » RFI – 16 / 10 / 2024
« Près de 8 millions de personnes chassées de leur logement » Asso. Enfants Soleil – 16 / 10 / 2024
« 2 morts et 5000 déplacés après une attaque de gang à Port au Prince » France info TV – 20 / 10 / 2024
« Haïti : Situation sécuritaire très fragile et situation humanitaire désastreuse » ONU – 22/10/2024