« À Cap haïtien, on ne ressent pas vraiment le chaos qui secoue, notamment le centre et le sud d’Haïti. Ici, on peut encore, sans problème, se promener à pied ou en voiture dans la ville, discuter avec les gens ou se rendre dans les commerces. Les habitants sont bien sûr inquiets de la situation dans laquelle se trouve le pays, mais ils ne subissent pas les violences quotidiennes que l’on peut voir ailleurs, à Port au Prince par exemple, ou dans d’autres villes du pays. À Cap Haïtien, on ne perçoit pas trop la dégradation sécuritaire dans laquelle se trouve Haïti »
Ce témoignage de Vincent Souriau, envoyé spécial de Radio France Internationale en Haïti, pose une petite touche lumineuse sur la palette bien sombre de ce petit état caribéen. Ce petit « havre de tranquillité », les autorités locales veulent en faire un atout permettant à une population à bout de souffle, de garder l’espoir, même infime, qu’un avenir meilleur est possible pour le pays.
« Ne pas se laisser couler et redresser la tête », comme le répète sans cesse Patrick Almonor, Maire-adjoint de Cap Haïtien. Il s’est fixé pour mission de faire briller la deuxième ville du pays. « A Cap Haïtien, on vit plutôt bien et il est temps de le faire savoir. Il y a une vie sociale, les restaurants fonctionnent, il y a une vie nocturne comme dans n’importe quelle ville du monde. Il ne faut pas appliquer la situation de la capitale Port au Prince à tout le pays »
Lorsque vous lui dites qu’il ne peut tout de même pas ignorer la situation catastrophique dans laquelle se trouve Haïti, il vous répond qu’effectivement, il y a de la violence, de l’insécurité et un effondrement économique. Mais il argumente aussi sur les atouts de sa ville. Cap Haïtien est inscrite au Patrimoine Mondial depuis 1995, elle dispose d’un aéroport international. Selon Patrick Almonor, : « Il faut maintenant organiser nos atouts afin d’attirer des investisseurs étrangers et des touristes ».
Mais derrière la carte postale que décrit l’édile local, la réalité de Cap Haïtien, bien que, pour l’heure à l’abri de l’insécurité que connaît une partie du pays, n’est pas aussi colorée.
La ville fait face quotidiennement à des arrivées de populations fuyant Port au Prince. Les autorités municipales ont mis en place ce qu’elles appellent « un cordon de sécurité », afin d’éviter que les mafieux et autres chefs de gangs viennent infiltrer la région. Les arrivants doivent obligatoirement se faire enregistrer à la mairie… Mais force est de constater que cette mesure ne fonctionne pas. Pour preuve, ces 2 dernières semaines, seule une quinzaine de personnes s’est présentée en mairie… un chiffre totalement dérisoire, au vu du flot de personnes qui quittent la capitale.
Patrick Almonor reconnaît à demi-mots que cette opération d’enregistrement demande beaucoup de doigté, car, selon lui, il ne faut pas stigmatiser les personnes qui ont pris des risques pour quitter Port au Prince ou pointer du doigt les familles traumatisées par la violence qui ont dû tout quitter du jour au lendemain.
La grande majorité des « déplacés de Port au Prince » arrive donc à Cap Haïtien, incognito… d’où l’inquiétude de voir s’installer et prospérer des mafieux de tous poils. Selon Harold Jean, porte-parole de la police de Cap Haïtien : « Depuis début mars, la police est intervenue une centaine de fois, suite à des appels d’habitants dénonçant l’arrivée d’inconnus dans leur communauté ».
Et d’ajouter que ces 2 dernières années, la police Capoise a démantelé plusieurs gangs qui sévissaient dans les banlieues de Cap Haïtien. Tout cela est invérifiable… Alors, malgré toute la bonne volonté que la police peut mettre en œuvre, s’agit-il de la réalité ou d’un discours de façade pour sauver les apparences ?
De son côté, le Commissaire du Gouvernement (l’équivalent du Procureur de la République en France) avoue quand même enregistrer, depuis 2 ans, un regain de criminalité dans la région de Cap Haïtien. Mais il explique que sa politique pénale qui consiste, je cite : « à tuer dans l’œuf les zones de micro-banditisme qui peuvent apparaître dans sa juridiction » ,porte ses fruits et qu’il diligente très rapidement des opérations de police lorsque des infractions sérieuses sont signalées ou constatées. Mais là encore, s’agit-il de la réalité ou d’une opération de communication ?
Sur un autre plan, au-delà de l’évocation d’une délinquance qui semble augmenter, s’il est un endroit à Cap Haïtien où le chaos qui secoue le pays est palpable, c’est l’aéroport. Celui de Port au Prince étant fermé, ceux qui veulent quitter Haïti se ruent vers l’autre terminal aérien international du pays. Plusieurs milliers de personnes s’y retrouvent chaque jour, souvent bloquées sur place, car les vols sont surbookés. Les prix des billets ont été multipliés par 5 ou 6, notamment pour les Etats-Unis. Les compagnies aériennes assurant encore des liaisons au départ d’Haïti n’envisagent pas d’augmenter la fréquence de leurs vols.
Mais… même s’ils sont des milliers à se bousculer chaque jour à l’aéroport de Cap Haïtien, en quête d’un ailleurs plus radieux, ils ne représentent qu’une infime minorité de la population ayant les moyens de s’offrir un billet d’avion…
Cap Haïtien, son aéroport, son classement au patrimoine mondial, son littoral, son art de vivre. Ilot de tranquillité… Pour combien de temps encore ?
A lire… voir… écouter :
- Crise en Haïti, « l’ONU est d’une inefficacité désolante » – Courrier International – 21 avril 2024
- Haïti : Installation du Conseil Présidentiel de transition ce jeudi 25 avril – Radio France Internationale – 24 avril 2024
- Port au Prince : Plus de 50 000 personnes ont fui la capitale et la violence des gangs. – Le Monde – 2 avril 2024
- Haïti : Sauver l’avenir de 3 millions d’enfants – UNICEF – 12 avril 2024
- Haïti : La France rapatrie les Français mais continue à expulser les Haïtiens – CIMADE – 13 avril 2024
- Haïti : les meurtres ont augmenté de 50 % au 1er trimestre 2024 – France info TV – 13 avril 2024
- Haïti : Une transition présidentielle dans un contexte de violence – TV5 Monde – 12 avril 2024
- La minute du Nouvelliste – Le Nouvelliste – 24 avril 2024